Thématiques grandissantes dans le secteur de la construction, l’économie circulaire et le réemploi sont portés par différents acteurs qui en donnent des applications concrètes sur le terrain. Alors que la question, elle, ne fait qu’émerger à l’échelon législatif et sachant que le déploiement de la REP bâtiment, attendu pour le 1er janvier 2022, n’interviendra finalement qu’en 2023.

Lucien Brenet

 

Olivier Salleron, président de la Fédération française du bâtiment (FFB)

« La REP bâtiment va modifier en profondeur les pratiques de notre filière. Dans le contexte actuel de pénurie de matériaux, il faut se donner toutes les chances pour réussir ce challenge […]. L’amélioration du maillage territorial en points de collecte, du recyclage des déchets ou encore la lutte contre les dépôts sauvages restent des enjeux forts pour notre profession et l’image du secteur. »

 

 Baptisée « Monceau », cette opération Virtuel Architecture, portée par Élogie-Siemp, visait la transformation d’une école en 24 logements sociaux et un commerce, 12 rue de Monceau dans le 8e arrondissement de Paris.

REP en première ligne

Les déchets du bâtiment et des travaux publics (BTP) représentent la deuxième source en France avec un total de 228 millions de tonnes par an, soit 70 % des déchets produits. Focus sur les contours de la REP.

 La réhabilitation du bâtiment Envie le Labo dans le 20e arrondissement de Paris, mise en œuvre par Urban Act Architecture et Écologie territoriale, a permis d’éviter 19,6 tonnes d’éléments neufs.

 

Le législateur tente de réformer le fonctionnement de la gestion des déchets du bâtiment « en rendant la collecte plus efficace pour lutter contre les dépôts sauvages et améliorer le tri des matériaux de construction en vue de leur recyclage », détaille un focus de l’INEC (Institut national de l’économie circulaire) dédié à la responsabilité élargie du producteur (REP). Dans cette optique, la loi antigaspillage pour une économie circulaire (AGEC) entérine la création d’une filière REP bâtiment à l’horizon 2022, mais elle ne devrait être pleinement opérationnelle qu’en 2023. « Elle portera sur les produits ou matériaux de construction du secteur du bâtiment destinés aux ménages ou aux professionnels qui seront repris sans frais. »

Globalement, cette nouvelle filière vise deux objectifs : « la réduction des dépôts sauvages en améliorant la collecte par une reprise sans frais des déchets, la densification du maillage des points de collecte, et l’amélioration de la traçabilité », ainsi que « la prévention de la saturation des décharges en développant le recyclage matière ainsi que le réemploi », indique la consultation publique mise en ligne le 5 juillet 2021. En la matière, tout est à faire. Les déchets du bâtiment se composent à 75 % de déchets inertes, 23 % de déchets non dangereux non inertes et 2 % de déchets dangereux.

« Le taux de valorisation des déchets du bâtiment est estimé à près de 70 % avec une certaine hétérogénéité selon la situation des différents flux », indique la consultation publique. Les déchets inertes sont en grande majorité acheminés vers le remblaiement de carrière, et 30 % d’entre eux sont recyclés. « Les déchets non dangereux du bâtiment sont quant à eux valorisés à 25 %, dont 15 % de recyclage et 10 % de valorisation énergétique », indique la consultation. Mais des millions de tonnes ne sont toujours pas valorisées et continuent d’être acheminées vers les décharges, quand il ne s’agit pas tout bonnement de dépôts sauvages.

 

Déjà des actions sur le terrain

 

Sur chantier, le réemploi est loin d’être la norme. Point positif, des professionnels n’ont pas attendu la législation pour mettre en exergue la faisabilité de l’économie circulaire dans la construction.
La démarche Cradle to Cradle (C2C) se définit comme un concept d’éthique environnementale ou de philosophie de la production industrielle qui trouve son application dans le milieu de la construction.

Dans cette démarche, « les produits et matériaux de construction sont conçus et fabriqués en gardant à l’esprit les attributs de sécurité, de circularité et de durabilité. Ils sont faits pour demain et permettent un avenir durable, sain et équitable », indique Christina Raab, CEO du Cradle to Cradle Products Innovation Institut, une organisation à but non lucratif qui milite pour une transformation à grande échelle de la fabrication des matériaux.

L’organisation décerne la certification C2C après évaluation des matériaux à travers leurs performances selon des exigences scientifiques dans cinq catégories de durabilité dont la circularité, déclinés en plusieurs critères que sont : la réutilisation – la remise à neuf et le recyclage –, l’incorporation de matériaux issus de filières de recyclage et/ou de contenus renouvelables corrodés responsables.

Sur le terrain, déjà, des projets ont recours à des matériaux certifiés C2C. « Les matériaux certifiés sont de plus en plus spécifiés et privilégiés dans les projets de construction circulaires et durables tels que The Cradle à Düsseldorf en Allemagne », développe Christina Raab. Sur ce bâtiment de bureaux de 6 600 m2 bois/béton achevé en 2022, « tous les matériaux de construction utilisés ont été sélectionnés pour leur santé matérielle », assure l’agence d’architectes en charge de la maîtrise d’œuvre, HPP Architekten. Leur origine et leur séparabilité assurent que, en fin de vie, ils puissent être réutilisés ou remis dans le cycle des matériaux.

 

Booster le réemploi

 

En France, c’est le Booster du réemploi qui tente de démocratiser la construction circulaire. Cette initiative, lancée en 2020 par Groupama Immobilier, est gérée par la société A4MT, une structure privée de conseil qui déploie et pilote des programmes de transformation de marché. « Pour ce qui concerne le réemploi, nous nous sommes rendu compte qu’il y avait un marché de l’offre, mais qu’il y avait peu de demande. Généralement, soit les produits sont traités comme des déchets, ou alors réemployés à moindre échelle par des particuliers et des artisans. Notre action consiste à activer de gros maîtres d’ouvrage et des prescripteurs qui s’engagent à acheter ces produits », développe Zélie Perrin, chargée de projet Booster du réemploi.

Aujourd’hui, l’initiative a fédéré une quarantaine de maîtres d’ouvrage « Ils s’engagent financièrement à tester l’intégration de matériaux de réemploi et ils bénéficient en contrepartie d’un accompagnement, de formations, de mises en relation avec des acteurs notamment », poursuit Zélie Perrin. La méthode consiste, pour chaque projet, en neuf comme en rénovation, à identifier les flux sur lesquels peuvent être menées des actions de réemploi. Ensuite, architecte et maître d’œuvre intègrent ce réemploi dans leur cahier des charges. Les entreprises se positionnant sur les appels d’offres doivent être force de proposition.

À ce titre, le Booster accompagne les sociétés dans la recherche de gisements de réemploi et référence un maximum de fournisseurs. Massifier la pratique du réemploi ne se fera pas sans un volet sensibilisation/communication. À ce titre, le Booster a initié un concours des Trophées du bâtiment circulaire en partenariat avec le portail d’information pour les professionnels, Construction 21. Ledit concours « donne à voir des projets en réemploi et dont le rendu est désirable », décrit Zélie Perrin. Une première édition en 2021 avait mis en lumière 22 projets immobiliers jugés exemplaires en la matière. Une seconde édition se tiendra en 2022.

Monceau : Le réemploi pour conserver la mémoire du bâtiment

 

Ce bâtiment, qui était initialement une école, a été réhabilité en 24 logements sociaux et un commerce. Cette réalisation, au cœur du 8e arrondissement de la capitale, se caractérise par sa dimension environnementale, couplée à une volonté de conserver la mémoire de l’ancien usage du bâtiment. Comment ? Par le réemploi. « Le projet n’était pas fléché “économie circulaire”.
Dès l’appel à candidature MOE, Virtuel Architecture a identifié le potentiel de matériaux réemployables et l’a développé dans son projet lors des différentes phases d’études.
Le traitement de ces matériaux a été intégré au cahier des clauses techniques particulières (CCTP) de manière naturelle. Une présentation des éléments à conserver a été intégrée au dossier de consultation des entreprises (DCE) et le carnet de détail a été adapté en conséquence », détaille Construction 21.

Ainsi, de nombreux éléments ont été conservés. Citons la serrurerie de l’ancienne cage d’ascenseur de service afin de décorer des cuisines des T5, mais aussi les radiateurs en fonte, les carreaux de carrelage et pierres (63,5 m2) pour le sol des paliers, et les carrelages des locaux et sanitaires (32,74 m2), la ferronnerie et main courante de la cage d’escalier (100 %), la conservation et restauration de la porte d’entrée métallique et de l’auvent dans la cour. La plupart des matériaux récupérés servent d’éléments décoratifs ou ont conservé leur fonction d’origine. Les porteurs du projet assurent que toutes ces actions ont permis de limiter la quantité de déchets.

 Cette opération réalisée au cœur du 8e arrondissement de Paris a permis de transformer une école en 24 logements sociaux et un commerce, tout en conservant l’identité première du bâtiment, grâce au réemploi.

Transformer des déchets en granulats minéraux

 

L’entreprise angevine Néolithe conçoit des fossilisateurs. Ces unités de traitement des déchets reposent sur un procédé de fossilisation qui transforme les déchets non recyclables, non inertes et non dangereux en granulats minéraux normés utilisables dans la construction. Néolithe produit ainsi une nouvelle matière, l’Anthropocite, pour sous-couche routière et béton. La société prévoit de créer un nouveau site industriel de plus de 11 ha qui devrait sortir de terre à l’automne 2022. Il comportera une première unité d’assemblage de fossilisateurs, ainsi qu’une unité de production de liant bas carbone, indispensable à la transformation des déchets en minéraux.

Cet article est extrait de Planète Bâtiment 68, découvrez le numéro en intégralité sur la plateforme Calameo.com