Penser la biodiversité en ville passe par une approche globale de l’urbanisme dont découlent des outils techniques innovants afin de construire des infrastructures naturelles homogènes et harmonieuses.
La biodiversité et, à plus forte raison, la question de la nature en ville sont des sujets encore émergents. Une science qui a débuté par des outils pratiques, plus que par une assise scientifique. Un tâtonnement dont l’exemple le plus représentatif n’est autre que les ruches qui, un temps, ont poussé comme des champignons sur les toits des villes. « Les ruches en milieu urbain sont un peu une fausse bonne idée, car elles peuvent avoir un effet négatif sur la biodiversité. Les abeilles à miel, très nombreuses, entrent en compétition avec d’autres pollinisateurs, les abeilles dites “solitaires”. Installer une seule et unique espèce de pollinisateur, ce n’est pas ça la biodiversité », développe Frédéric Madre, directeur associé de Topager et chercheur associé au Centre d’écologie et des sciences de la conservation (Cesco/Muséum national d’histoire naturelle-CNRS-Sorbonne université).
Les toitures végétales ne se limitent plus à quelques espèces de sédums, mais se déclinent de mieux en mieux, afin d’accueillir une biodiversité des plus variées, et rendre des services écosystémiques.
Photo : Soprema Entreprises
Penser les trames et défragmenter
Penser la biodiversité en ville, selon les experts, passe désormais par une approche globale, dont découlent des outils techniques de construction d’infrastructures naturelles. « Nous sommes de plus en plus sur une vision holistique de l’urbanisme pour la biodiversité », décrit Frédéric Madre. Cette approche se caractérise par une structuration de la nature en ville autour des trames vertes, bleues, brunes et noires et la communication entre lesdites trames. Cette approche « vise à maintenir et à reconstituer un réseau d’échanges pour que les espèces animales et végétales puissent, comme l’homme, circuler, s’alimenter, se reproduire, se reposer », détaille le ministère de la Transition écologique dans un communiqué. Cette planification urbaine doit être réalisée à l’échelle des agglomérations, puis des quartiers et enfin des bâtiments, dernière échelle de l’aménagement urbain. Pour une intégration plus fine de la biodiversité. La trame verte correspond au végétal. Elle regroupe les parcs, jardins, arbres d’alignement, et, bien entendu, les très médiatisées toitures végétalisées.
Ces dernières d’ailleurs, de plus en plus complexes, ne se limitent plus à quelques espèces de sédums, mais se déclinent sous de nombreuses formes (extensives, semi-extensives, etc.), afin d’accueillir une biodiversité des plus variées, et rendre des services écosystémiques, notamment sur la question de la gestion de l’eau. En urbanisme, l’approche à travers la trame verte consiste aussi à éliminer les discontinuités en ville. L’idée ? Que les poumons verts soient reliés entre eux, à l’aide de pas japonais par exemple, afin de favoriser le déplacement des espèces. La trame bleue, elle, concerne toute la trame hydrique (zone humide, mare, rivière…). Trames vertes et bleues se superposent dans des zones dites « d’interface » (milieux humides et végétation de bords de cours d’eau par exemple).
La trame brune, soit les sols, « constitue tout un réseau trophique (chaînes alimentaires reliées entre elles, ndlr) indispensable pour que les racines dialoguent avec les micro-organismes, que les déchets de végétaux se dégradent convenablement et nourrissent d’autres végétaux, etc. », décrit Sophie Rousset- Rouvière, déléguée générale de l’Association des toitures et façades végétales (Adivet). Et enfin, la trame noire concerne les espèces nocturnes. À savoir, dessiner l’urbanisme en préservant des zones afin qu’animaux et insectes nocturnes puissent circuler sans être trop perturbés par l’éclairage artificiel par exemple. Sur le terrain, « il peut s’agir d’équiper une avenue d’un éclairage intelligent, qui ne s’allumera qu’en présence de piétons, favorisant ainsi la circulation des espèces nocturnes lorsqu’il est éteint », détaille Frédéric Madre.
Le pas japonais consiste en une succession de secteurs naturels ou semi-naturels, de surfaces réduites, reliant deux réservoirs de biodiversité, afin que certaines espèces puissent circuler de l’un à l’autre.
Photo : Elisabeth Gruchmann (Adivet)
Techniques et services écosystémiques
Au-delà de la seule sauvegarde, la biodiversité en ville prend un caractère utilitaire. Ce sont les fameux services écosystémiques, soit la lutte contre les îlots de chaleur urbains, la gestion des eaux pluviales, ou, dans une moindre mesure, la gestion de ressources avec les fermes urbaines. Là encore, la conception des outils censés ramener de la biodiversité en ville est aussi pensée au travers de ces services rendus. « Les infrastructures vertes permettent de réaliser des économies grâce aux services écosystémiques rendus », assure Frédéric Madre. Sans oublier le besoin de vert toujours plus fort exprimé par les citoyens. D’après une étude NewCorp Conseil, 92 % des Français estiment qu’il n’y a pas suffisamment de nature en ville.
Lucien Brenet
Le schéma de cohérence territoriale (SCoT) et le plan local d’urbanisme (PLU) jouent un rôle majeur dans la bonne application des trames.
Photo : BMI Siplast
Outil 1 : Une toiture végétalisée aux usages différenciés
L’immeuble de bureaux Respiro est situé en zone urbaine dense, à Nanterre (Hauts-de-Seine). Ses deux toitures-terrasses (1 500 m2 au total) sont conçues comme un outil d’accueil de la biodiversité. Les deux espaces ont été végétalisés suivant deux méthodes distinctes. La végétalisation extensive en R + 3 repose sur le principe du WildRoof. Près de 650 m2 de bacs acier accueillent une flore sauvage qui colonise un substrat nu. « Au R+3, l’aspect service esthétique et bien-être n’était pas le plus important. Nous avons plutôt installé des substrats, des nichoirs, pour que le vent et les oiseaux amènent spontanément des espèces locales », indique Frédéric Madre. Au R + 2, cette terrasse accessible de 860 m2 repose sur un support béton. La végétalisation semi-extensive est composée de plantes indigènes installées sur un substrat de 8 à 25 cm d’épaisseur. Les variations d’épaisseur de substrat permettent d’intégrer de petites buttes pour accueillir de petits arbustes. Son fonctionnement écologique s’inspire des prairies sèches : diversité des strates végétales, microhabitats (buttes, mares), ni fertilisation ni amendements, pas de traitements chimiques. Le renouvellement se fait naturellement. La toiture comprend un petit potager de 13 m2 à but pédagogique. Un suivi écologique de l’Agence régionale de la biodiversité en Île-de-France, dans le cadre de l’étude Grooves (Green Roofs Verified Ecosystem Services), a identifié 107 espèces d’invertébrés différentes. Le projet a été subventionné par l’Agence de l’eau Seine-Normandie (AESN) au titre de la bonne gestion des eaux pluviales. Le bâtiment, lui, rend également des services écosystémiques de rafraîchissement et de gestion des eaux pluviales. Le programme a été élaboré en partenariat avec le Muséum national d’histoire naturelle.
Sur ce projet, la microtopographie du substrat et la palette de plantes ont été travaillées afin d’accueillir des variétés locales et méditerranéennes, plus résistantes à la sécheresse en toiture. Ce qui permet aussi d’adapter la palette végétale aux changements climatiques.
Photo : Respiro
Outil 2 : Des jardins de pluie urbains pour gérer les eaux pluviales
Les jardins de pluie urbains, réalisés et entretenus par Les Jardins de Gally en collaboration avec les start-up Source urbaine et Vertuo, sont présentés comme une solution de gestion des eaux pluviales en zones urbaines imperméabilisées. Cette installation hors-sol de faible emprise ne nécessite pas de travaux de réseaux. Il s’agit d’un stockage temporaire associé à une réserve utile et disponible d’eau de pluie en contact direct sous le substrat. L’installation récupère l’eau de pluie acheminée depuis les toitures. « Ces jardins contribuent au rafraîchissement urbain et à la diminution des îlots de chaleur. De plus, ils peuvent être colonisés par des animaux et des végétaux. Ces puits urbains peuvent être installés hors-sol, ou à la faveur de réfection de certains réseaux », détaille Pierre Darmet, directeur marketing et développement commercial Les Jardins de Gally. La technique peut accueillir une large palette végétale : des espèces mellifères, locales, et horticoles, des caduques et persistantes pour l’évapotranspiration, ou encore, des saules pour les plus grosses installations.
Projet de l’Académie du climat à Paris, ancienne mairie du 4e arrondissement, avec Vertuo.
Photo : Gally Vertuo Paris 2020
Cet article est extrait de Planète Bâtiment 68, découvrez le numéro en intégralité sur la plateforme Calameo.com